Le programme gouvernemental «Action cœur de ville» qui ambitionne de revitaliser le centre de 222 villes françaises est d’ores et déjà condamné à l’échec dans bon nombre de cas. En cause ? Le commerce de périphérie, qui a vidé les cœurs de ville, continue de prospérer, avec l’aval des acteurs publics, écrit Franck Gintrand.
Depuis plusieurs années, de nombreuses villes moyennes françaises sont touchées par le même phénomène : la dévitalisation de leur cœur de ville. La fermeture de commerces ou encore le départ de professions libérales s’y sont multipliés, à un niveau tel que le gouvernement s’est décidé à mettre en place à la fin de l’année 2017 un vaste programme d’actions pour enrayer la situation, le plan «Action cœur de ville».
Ce sont en tout 222 villes, aussi bien sur le territoire métropolitain qu’ultramarin, qui ont été sélectionnées pour bénéficier d’aides financières. Elles partageront une enveloppe de 5 milliards d’euros sur cinq ans. Cet accompagnement doit permettre de soutenir les actions de revalorisation des centres autour de plusieurs axes : le logement, le développement économique et commercial, l’accessibilité et les mobilités, la mise en valeur du patrimoine ou encore l’accès au service public. L’ensemble de ces actions a pour but d’améliorer les conditions de vie des habitants et de refaire des centres-villes le lieu privilégié de l’activité économique et de la mixité sociale.
Concurrence des périphéries
Si ce plan affiche l’ambition d’accompagner des villes dont les difficultés sont réelles, il a de grandes chances d’échouer dans bon nombre de cas. Et ce même avant même d’avoir commencé à entrer dans les faits. En cause ? L’absence de mesures concrètes et fortes prises pour lutter contre le développement du commerce dans les périphéries des communes. C’est pourtant l’essor continu des surfaces commerciales aux abords des villes qui a, année après année, décimé les nombreux commerces de proximité, et la vitalité des cœurs de villes avec. Il y a en effet une triste réalité qui a fini par émerger : là où les centres commerciaux poussent, les centres-villes finissent peu à peu par se vider.
Dans cette guerre commerciale, le commerce de périphérie dispose de tous les atouts pour gagner : des parkings gratuits, une facilité d’accès, une offre commerciale diversifiée avec l’arrivée de magasins d’habillement ou de la maison autrefois réservés au centre-ville, des animations régulières ou encore des espaces propres et sécurisés. Impossible donc pour les commerçants de proximité de tenir sur le long terme tant les dés apparaissent comme pipés.
Projets commerciaux
Pourtant, malgré les difficultés que connaissent de nombreux centres-villes, les projets commerciaux en périphérie continuent de se développer sur tout le territoire. Y compris dans de très nombreuses villes sélectionnées dans le plan «Action cœur de ville» pour leur situation particulièrement problématique.
Rien qu’en Occitanie, plus de la moitié des villes bénéficiaires du plan, soit 14 villes sur 25, ont au moins un projet d’extension ou de création commerciale située dans leur périphérie qui a été autorisé en 2018 et/ou en 2019, alors même que le gouvernement avait déjà détaillé son programme d’aide. Ainsi Agde, Albi, Alès, Béziers, Cahors, Carcassonne, Lunel, Montauban, Narbonne, Perpignan, Pamiers, Revel, Sète et Villefranche-de-Rouergue ont vu leurs surfaces commerciales en périphérie augmentées ces deux dernières années, tandis qu’Auch, Castres, Mazamet, Millau, Figeac, Foix, Lourdes, Mende, Rodez, Tarbes et Lourde n’ont pas de projets autorisés pour l’instant).
Une menace trop souvent prise à la légère
Comment expliquer cette dynamique contradictoire ? Deux raisons peuvent être invoquées. D’une part, les villes n’ont tout simplement pas les moyens d’interdire un projet commercial situé dans une commune périphérique, quand bien même le maire souhaiterait protéger son centre-ville, sachant qu’un ensemble commercial représente une manne financière difficile à refuser. D’autre part, certains élus restent encore persuadés que le commerce en périphérie n’a pas d’impact négatif sur leur centre-ville.
C’est par exemple le cas de la ville de Cahors, ville bénéficiaire du plan gouvernemental. Là-bas, un ensemble commercial de plus de 8.000 mètres carrés, Les rives du Lot, a été autorisé en 2018. Alors même que les commerçants du centre-ville ont manifesté leur inquiétude et l’incohérence du projet avec le plan de revitalisation, le maire de Cahors et président du Grand Cahors, Jean-Marc Vayssouze-Faure, ne voit pas où est le problème.
Pour lui, «si la société a longtemps opposé les offres de centre-ville avec celles des périphéries, le péril du commerce est aujourd’hui incontestablement le commerce en ligne». Tiens donc. Si internet constitue le danger que cet élu décrit, on comprend mal pourquoi les zones commerciales veulent se développer, ni en quoi leur développement pourrait aider les commerces de centre-ville à affronter une concurrence toujours plus rude…
Ces politiques qui prétendent relever des centres-villes tout en autorisant la concurrence périphérique à se renforcer sont-elles de bonne foi ou cyniques ? A la limite qu’importe. Elles consistent à dépenser de l’argent public en vain alors même que celui-ci se fait rare. En continuant d’autoriser le développement de surfaces commerciales dans la périphérie des villes alors même qu’il ambitionne de sauver les cœurs de ville, l’Etat ne fait qu’alimenter le problème qu’il s’efforce de résoudre, car plus les centres commerciaux de périphérie se développeront, plus les centres-villes se videront. C’est un véritable non-sens dont on connaît malheureusement déjà l’issue : des centaines de millions d’argent public jetés par les fenêtres.
Franck Gintrand, conseil auprès des collectivités locales, est délégué de l’Institut des Territoires. Son dernier livre : «Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes» (Thierry Souccar éditions, 2018).